La sobriété numérique
- Cécile Torres
Un peu d’histoire…
GED, ECM, Gouvernance, Web 2.0, IA … En trente ans d’histoire, le marché des nouvelles technologies a traversé les époques, les tendances et les nouvelles problématiques. Chacune s’accompagnant de son vocabulaire et de ses nouveaux usages… Aujourd’hui, la préoccupation écologique envahit nos vies, dans toutes ses strates. Il était donc évident que nouvelles technologies et environnement allaient se rejoindre.
C’est donc chose faite sous l’appellation de “sobriété numérique”. Mais que se cache-t-il exactement sous ce terme?
Nouveau terme ? En fait, pas vraiment. C’est l’association GreenIT, créée en 2004, qui évoque la sobriété numérique pour la première fois, en 2008. Voilà la définition que Frédéric Bordage, son créateur, en donne : “La démarche qui consiste à concevoir des services numériques plus sobres et à modérer ses usages numériques quotidiens”.
Les enjeux de la sobriété numérique
“Envoyer 20 mails par jour pendant 1 an est l’équivalent d’un trajet en voiture de 1000 km.”
Selon The Shift Project, en 2018 le numérique était responsable de 3,7% des émissions de CO2 mondiales et 3,8% des émissions de GES (gaz à effet de serre). Sans mise en place d’une politique de sobriété, sans prise de conscience collective, cette part pourrait dépasser 8% des émissions de GES en 2024. La sobriété numérique a donc pour première vocation de réduire l’empreinte écologique du secteur numérique.
Ainsi la démarche est noble et paraît évidente vue les enjeux écologiques actuels. Mais concrètement, quels sont les véritables coûts du numérique ? Est-il si facile d’en estimer l’empreinte carbone ? Et, en parallèle, quid de ses coûts financiers pour l’entreprise ?
Le “coût de la terre”
Beaucoup de facteurs doivent être pris en compte pour calculer l’empreinte carbone et les émissions de GES du numérique. Et certains sont absents des précédents calculs :
- Le coût de l’eau : entre les refroidissements par watercooling, la fabrication des liquides de refroidissement, l’utilisation de l’eau dans la fabrication du matériel informatique, le coût et la pollution sur l‘eau sont non négligeables et souvent absents de l’équation.
- L’exploitation des fonds sous-marins : de nombreux data centers sont délocalisés dans les grands fonds marins pour de multiples raisons (refroidissement plus facile et coût du sol moindre, notamment). Mais on ignore le réel impact sur l’écosystème marin. Pollution sonore et destruction de la faune et de la flore sont un nouvel impact, réel, et bien souvent ignorés.
- L’exploitation des matériaux lourds : Cobalt, lithium, terres rares, graphites…. Les besoins explosent pour fabriquer nos ordinateurs, smartphones et tablettes. Pourtant il est désormais de notoriété publique que leur production, en Afrique notamment, détruit les sols dans des mines à ciel ouvert où toute considération écologique est absente et qui favorise l’exploitation de la pauvreté locale.
Un marché complexe à analyser et à anticiper
“70 ko ont permis d’aller sur la lune en 1969. Aujourd’hui les 2,1 milliards de vues de Gangnam Style ont coûté la consommation annuelle d’une petite centrale électrique.”
Le matériel évolue à vitesse grand V. Vitesse de calcul des processeurs, puissance des batteries, technologies de stockage… Certaines évolutions sont bénéfiques pour l’empreinte carbone. La mémoire flash possède une meilleure empreinte carbone que la mémoire mécanique de nos anciens disques durs, par exemple. A contrario, les écrans LED consomment beaucoup plus que nos bons vieux cathodiques (146 kW contre 83 kW). Quel est le ratio de chacun de ces éléments ? A quelle vitesse le marché va-t-il évoluer vers le tout flash pour la mémoire ou le tout LED dans les pays émergents ?
De plus, de nouvelles crypto-monnaies voient le jour, comme le Chia en Chine qui se base non plus sur le temps de calcul, mais sur l’espace de stockage, le PoST (proof of space and proof of time). Quelle nouvelle crypto-monnaie est sur le point d’émerger ? Et quel impact aura-t-elle sur l’empreinte carbone et la demande de tel ou tel composant ?
Ordinateur, smartphone, tablette, serveurs… La demande est en perpétuel croissance. Elle est donc toutefois à mettre en parallèle de ces évolutions du marché, parfois vicieuses, parfois vertueuses, difficilement anticipables et quantifiables.
Ce que l’on peut dire de manière certaine, c’est que c’est la fabrication des équipements utilisateurs qui sont le plus coûteux, quel que soit le prisme (énergétique ou environnemental). Voici le classement des éléments les plus lourds pour l’environnement :
- Fabrication des équipements utilisateurs
- Consommation électrique de ces équipements
- Consommation électrique du réseau
- Consommation électrique des centres informatiques
- Fabrication des équipements réseau
- Fabrication des équipements hébergés par les centres informatiques (serveurs, etc.)
En 2025, GreenIT estime que 62% des émissions de GES seront liées à notre utilisation de tous ces appareils, dont 35% uniquement pour leur fabrication. Une prise de conscience collective est donc nécessaire. Une bonne nouvelle, elle a commencé, comme l’a montrée une table ronde organisée par Usbek & Rica :
C’est pas Versailles, ici ! *
“Si internet était un pays, il serait le 3eme pays le plus consommateur d’électricité après la Chine et les USA.”
Si le calcul de l’empreinte carbone et de l’émission des GES paraît difficile, quid du coût énergétique ? C’est une problématique bien plus prosaïque, qui parle au porte-monnaie de toute entreprise et l’on est en droit de se dire que son calcul sera plus aisé.
Malheureusement, encore une fois, ce n’est pas si simple !
Certes des études ont été publiées sur le sujet… Mais l’estimation du coût d’1 Go par mois varie de 0,26$ à … 3,5$ ! Ce n’est plus une fourchette mais un service complet. Comment expliquer de telles variations ?
Eh bien tout d’abord, de quelle électricité parle-t-on ? En France, pour le plus grand plaisir de certains, l’électricité est nucléaire. En dehors des énergies renouvelables, il s’agit là de l’énergie qui possède la meilleure empreinte carbone. Mais on ne prend pas en compte ses déchets, que l’on enterre pour… plus tard. D’un autre côté, il y a l’électricité issue du charbon, dont les chinois sont les champions. Le charbon produit, à lui seul, 33% des émissions de GES mondial. Problème : la Chine, championne du monde du charbon (et absente de la dernière COP…) est également une immense consommatrice de numérique. Le calcul du coût environnemental du numérique sera donc différent en France et en Chine. Et sait-on toujours où sont localisés les serveurs Cloud que l’on utilise ? Et sait-on où sont localisés les sauvegardes des serveurs Cloud que l’on utilise…
Et quoi qu’on en pense, nous ne sommes qu’au début de la révolution numérique. Quid de l‘Inde, par exemple, qui montre de grandes disparités entre Bangalore et Hyderabad (les deux centres du secteur des services numériques) et le reste de l’Inde encore très largement sous-équipée ? Aujourd’hui, 60% de la population mondiale est en ligne (PNUD, 2021). Les pays émergents auront-ils une réelle politique environnementale lorsque l’usage numérique va se généraliser ?
On peut également évoquer les changements culturels, notamment autour du télétravail qui se généralise dans les pays développés autour des activités de service. Selon les estimations de Wikipower, le supplément de consommation d’énergie se décompose de la façon suivante :
- Poste de travail (à raison de 8h/jour, 20 jours/mois) : 40 kWh/mois
- Éclairage (3 ampoules LED) : 3,2 kWh/mois
- Chauffage (+3 °C dans 10 % de la maison) : 30 kWh/mois
Ces coûts sont à multiplier par le nombre de salariés, dont les coûts ne sont plus globalisés au niveau de l’entreprise. Également seront multipliés les coûts de production pour l’équipement en postes de travail itinérants.
Jusque là, ça va…
S’il est impossible de donner des chiffres précis, on peut quand même donner une estimation de l’impact du numérique par ressource évoquée dans cet article (source : GreenIT & France Inter, 2019) :
Et si ces chiffres ne vous parlent pas :
- La consommation électrique du numérique équivaut à 82 millions de radiateurs électriques allumés en permanence
- L’émission de GES du numérique correspond à 116 millions de tours du monde en voiture
- La consommation d’eau correspond à 3,6 milliards de douches
Pour enfoncer le clou s’il dépasse encore, voici quelques chiffres fournis par Céline Deluzarche pour Futura en 2021 :
Donc on fait quoi ?
Que les responsables marketing rangent leurs calculatrices. Il n’y aura pas de ROI sur la sobriété numérique d’ici longtemps. Toutefois, nous commençons tous à comprendre l’enjeu. L’enjeu pour la planète… et pour le portefeuille de l’entreprise. S’il est donc impossible de faire le moindre calcul sur la sobriété numérique, voilà ce que nous pouvons et devons mettre en place :
- Réduire les temps de recherche : D’après le physicien Alex Wissner-Gross, deux requêtes sur Google généreraient 14g d’émission de carbone. Même si ces chiffres sont réfutés par… Google himself, il n’en reste pas moins un évidence : chaque requête, vers Google, Sharepoint ou même une GED d’entreprise sollicite le réseau, engendre un coût énergétique et environnemental. L’AIM (Association Information et Management) estime à 7h30 par semaine le temps moyen passé à chercher une information papier ou numérique sans la trouver. C’est une journée par semaine et par salarié ! Rendre l’information plus accessible, améliorer la recherche en permettant de retrouver plus rapidement ce que l’on cherche, c’est améliorer l’empreinte carbone de l’entreprise et diminuer les coûts énergétiques et environnementaux.
- Assainir les sources : Un mail inutile, conservé dans sa boîte mail, engendre 10g de CO2 par an en moyenne. Chiffre à décupler si le serveur de mail est en Cloud, s’il est dupliqué pour sauvegarde… Un document inutile, ou en double, engendre une émission encore plus importante en fonction de son poids. Diminuer le volume stocké, c’est donc améliorer son empreinte carbone et le coût énergétique des sources de l’entreprise. En parallèle, cet assainissement permet également d’optimiser la recherche citée au point précédent, pour un effet d’autant plus bénéfique sur les temps de recherche.
- Décommissionner les applications : Philippe Roques, directeur exécutif de la ligne de services Application Lifecycle Services au sein de Capgemini a révélé qu’en France et aux Etats-Unis, 50% des entreprises admettent que près de la moitié de leurs applications devraient être retirées. La société spécialisée dans la gestion des licences (SAM pour Software Asset Management), base l’infographie suivante sur l’étude de 149 entreprises représentant 4,6 millions d’utilisateurs. Le décommissionnement des applications inutiles représente une économie potentielle pour les entreprises de 247$ (220€) par poste de travail. Optimiser l’information, mais aussi les applications qui la gère, permet évidemment de faire des économies importantes sur les coûts de licence, mais surtout, tout comme une bonne gouvernance, d’optimiser les temps de recherche.
- Gouverner l’information : L’étude européenne “Databerg 2015” de Veritas Technologies LLC révèle que seules 14 % des données stockées auraient une utilité avérée. Le “dark data”, ces données qui échappent au contrôle de l’entreprise, ont de multiples origines, notamment la multiplication des Cloud gratuits et de mauvaises habitudes des utilisateurs. Il devient donc évident que la sobriété numérique passe par un meilleur contrôle de l’information stockée: gestion des typologies documentaires, application de cycle de vie de documents “in place” pour supprimer automatiquement les documents obsolètes… Une bonne gouvernance a une valeur ajoutée transverse sur la sobriété numérique : elle permet de ne stocker que l’information utile et d’optimiser les temps de recherche.
Face à ce constat, les entreprises s’organisent et envisagent des stratégies de gouvernance de leur capital informationnel. Comme le précise le cabinet de conseil Serda, ces programmes de gouvernance de l’information débutent par la définition d’un comité de décision interne et passeront par de multiples étapes qui engagent l’entreprise dans une démarche d’évaluation, de tri et de réappropriation de l’information existante. Ces initiatives ouvrent la voie à de nouvelles générations de logiciels de gestion de l’information destinés à faciliter l’analyse, l’assainissement, la recherche et la gestion du cycle de vie de l’information. La société Everteam est pleinement engagée dans cette démarche. Si vous désirez en savoir plus, n’hésitez pas à nous contacter !
*référence à la publicité pour Total Energie